Un jour que nous parlions de la pluie et du beau temps avec une amie, elle me parle du projet d’une certaine Linda Ellia, artiste peintre et photographe. Elle me raconte que cette dame là s’est trouvée en possession d’un exemplaire français de « Mein kampf » et qu’elle entreprit d’en découper chaque page afin de proposer à des inconnus une page sur laquelle ils s’exprimeraient. Je saurais plus tard, de la bouche de Linda Ellia, qu’au départ elle comptait dessiner tout au long de sa vie sur chacune de ces pages. Au bout d’une vingtaine de pages, elle réalisa que la re-création de ce livre devait être collective : Notre combat.
Cette amie me raconte qu’elle fût impliquée dans ce projet par le frère
de Linda Ellia qui l’accosta dans la rue en lui proposant d’y participer. Elle
me donna l’adresse d’un site sur lequel nous pouvions voir certaines pages. Ce
fut un choc. Vous savez, le genre de sensation que vous procure la justesse
d’une idée, d’un évènement ? Je décidais d’écrire à Linda Ellia pour lui
demander une page. C’était bien simple, je voulais ma page ! Quelque chose
s’était enclenchée : On m’offrait la possibilité d’accomplir un acte d’existence
!
J’ai 26 ans et déjà le sentiment d’avoir mesuré la folie de l’homme, son horreur
et sa grâce. J’ai 26 ans et en moi la conscience vive de cette mémoire à
transmettre et surtout le désir fort de ne jamais y voir seulement un fait
appartenant à l’Histoire : pour tous ceux qui ont connus et connaissent encore
le crime de l’intolérance.
En quelques mots, mon rêve le plus cher est que jamais nous ne sous-estimions
ces petites entorses quotidiennes au respect de la dignité humaine, que jamais
nous ne nous laissions glisser vers l’inertie, que jamais nous ne nous
autorisions à endormir notre conscience. .
Savez-vous que ce qui donna des ailes à ces pages là, est la peur ?! Peur de la
faim, de la violence, de la mort, de l’enfermement, de l’Autre, de la misère… La
peur !! Et pensez vous que la peur a disparu avec Hitler ?! La peur ! Ne
l’avez-vous jamais sentie au fond de vos tripes une nuit où vous marchiez seul
et que vous entendez des pas derrière vous ? Ne l’avez-vous jamais sentie se
déplier en vous lorsque vient la fin du mois et que vous n’avez rien à vous
mettre sous la dent et que rien ne vous promet des lendemains différents ? Ne
l’avez-vous jamais sentie vous brûler lorsque vous assistez par hasard à une
agression ? Ne l’avez-vous jamais sentie vous tuer lorsque vous êtes en face
d’une personne que vous détestez et qui pourtant vous oblige à la soumission ?
Qu’êtes vous capable de créer, de donner, de tuer, de saccager à ces instants là
? De quelles injustices sommes nous capables ? De quelle indifférence sommes
nous capables ? Combien de fois nous sommes nous excusés pour nos petites
lâchetés ? Croyez-vous que l’injustice et que l’horreur appartiennent à
l’histoire ? Croyez-vous que cette part d’histoire s’est faite d’un jour à
l’autre ?
La vie fait de nous des affamés, des peureux, des soldats, des soumis et des
fourmis qui ne savons rêver à rien d’autre qu’à un petit périmètre de sécurité
qui nous permettrait de survivre jusqu’à la mort. De quoi sommes nous capables
pour protéger ce périmètre de sécurité ?
La société fait de nous des déserteurs. On nous éduquent petit à petit à
déserter notre vie et à négliger le sens et la valeur des choses : il y a des
clochards, soit mais c’est normal, c’est la vie qui fait ça… Mais NON ! Ce n’est
pas normal !! Ce n’est pas normal de considérer normal qu’un être humain
barbotte dans sa merde et perde la tête à force de ne plus pouvoir supporter son
quotidien !! A chaque fois que vous détournez les yeux d’une personne parce
qu’elle vous fout la trouille et parce que ce qu’elle représente comme «
possible » vous insupporte, vous vous déshumanisez, A chaque fois que vous
confondrez réalité et nécessité, vous autorisez les politiciens à vous
domestiquer et à vous chosifier. A chaque fois que vous identifiez la dignité à
l’argent, la vérité à l’éloquence, vous niez la plus belle part de l’Humanité
qui est en vous.
C’est ce qu’aujourd’hui cette œuvre dit : Soyons humain à chaque instant malgré
la peur. Soyons humain, résolument !
Un jour que j’exposais le principe de cette œuvre, un jeune homme me dit qu’il
soutenait cette re-création mais qu’il estimait que c’était dommage de détruire
l’œuvre qu’est « Mein kampf », que malgré tout, ce livre reste une œuvre
physiquement rare donc précieuse.
A cela je réponds qu’est précieux ce qui a de l’importance au cœur de l’Homme.
Linda Ellia, en donnant jour à ce projet, a permis que du pire naisse le
meilleur. : C’est CA qui est précieux et rare ! Cette œuvre s’est construite par
des Hommes pour, et non contre, les Hommes.
Et puis, parlons de l’expression ! Linda Ellia, par cette re-création, offre le
plus beau moyen de la liberté : L’expression. Au-delà de l’acte d’humanité que
rend possible cette œuvre, elle fait parler les cœurs et leur donne la
possibilité d’être entendu. Savez-vous que ce qui tue est la privation
d’expression ? Lorsqu’on prive de parole une personne, on nie sa réalité. Au
moment où les rescapés des camps de concentration ont commencé à raconter leur
réalité, on les a prié de se taire prétextant que l’on avait d’autres choses à
faire que d’écouter leurs délires. Simplement, l’horreur de ce qu’ils évoquaient
était insoutenable, impensable. La société les a noyé dans le silence. Et dans
ce silence, le sentiment d’injustice s’est transformé en honte. On les a noyés.
On, nous. Nous ! Nous qui ne sommes capable que de stigmatiser, de calculer le
nombre de sabotages, d’agressions sans avoir conscience d’une réalité que l’on
nie de toute façon. Ca ne vous rappelle rien ? Les cités, les banlieues en feu…
On répare, ils cassent, pas adaptables, pas respectueux, c’est tout ce que l’on
sait dire, le reste on veut pas savoir. « On parle toujours de la violence du
fleuve qui déborde ses berges, jamais de la violence des berges qui enserrent le
fleuve » disait l’ami Brecht, et si nous regardions un peu la violence du
système !?
Un système crée par des hommes, des hommes capables du pire comme du meilleur,
Ce ne sont que des hommes et nous ne sommes que des hommes mais nous sommes
responsable de ce que nous vivons. Et toutes ces voix, a u contraire de toutes
celles qui se sont tues, parlent de ce que nous choisissons de respecter et
d’honorer : La plus belle part de l’humanité.
C’est ce qu’aujourd’hui cette œuvre dit : N’oublions jamais d’être humain à
chaque instant malgré la peur et le désespoir ! Ne nous endormons pas sur la
promesse d’un système bien pensé ! Soyons humain, résolument !
Aube Lalvée