Le Journal Culturel Le Mague
People Linda Ellia fait du livre d’Hitler une Œuvre artistique collective


Le 28 septembre 2006 par Frédéric Vignale
 
logo ARTICLE 2474 Linda Ellia, rencontrée par hasard grâce aux bons soins d’Yvon Bedu, m’a séduit par l’originalité de son projet, la force de ses convictions et son dynamisme hors pair.

Cette artiste peintre, après avoir eu entre les mains un exemplaire de "Mein Kampf" d’Adolph Hitler, a l’idée folle, belle et pleine de sens, d’arracher les 600 pages de ce livre et de les offrir à des artistes, créateurs ou personnes rencontrées afin qu’elles s’approprient cette œuvre du mal et qu’elles y apportent quelque chose d’artistique et de positif.

Un ouvrage collectif au final et un vrai devoir de mémoire.

Rencontre.
 

1. Bonjour Linda Ellia, je suis ravi de vous accueillir sur Le Mague. Vous êtes artiste peintre et photographe et je dois dire que votre projet artistique, historique et de mémoire m’a beaucoup touché. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement cette œuvre collective ?

Lorsque j’ai eu le livre d’Hitler "Mein Kampf" entre les mains, ma vie bascula. Que faire ? me taire ? que dire ? comment agir ?

Un sentiment de rage, de colère m’envahit. Pourquoi tant de morts ? tant d’injustice ? juste parce qu’il étaient différents ! et cela continue encore dans certains pays ! de quel droit une seule volonté impose son autorité sanguinaire.

Mon sommeil fut perturbé par toutes ces questions pendant plus de 3 mois, puis un soir, à l’aide d’un gros marqueur rouge, j’ai dessiné sur la première page, la tête d’une femme hurlant. Ensuite j’ai écrit des proses sur d’autres pages.

J’ai décidé ainsi de refaire tout le livre dans un élan frénétique. Je suis intervenue sur une trentaine de page, et je me suis vite arrêtée car j’ai pensé à vous tous et d’entraîner une poignée de personnes pour qu’elles ressentent cette sensation de vengeance, d’émotion, de jubilation, et de répulsion, face à un tel support.

J’avais l’impression d’exorciser le mal en allant l’affronter, le toucher. Transformer le livre ensemble, le détourner de son horreur, comme si les déportés avaient le dernier mot sur leur tyran.

Je me fis violence en m’arrêtant pour vous laissez la parole, je pris des gens dans la rue au hasard, je leur expliquais ma démarche et ce que j’attendais d’eux : qu’ils expriment leurs sentiments face à la tyrannie, sur une page du livre, qu’ils étaient libres d’exprimer ce qu’ils voulaient.

A part quelques réfractaires (réflexions inscrites dans un dossier nommé : "Comment-taire") tous ont acceptés.

Cette aventure dure depuis juin 2005. J’ai récupérée 500 pages, et il m'en reste 100 à distribuer.

Chaque page est rendue accompagnée d’une très grande émotion partagée.

2. Je suppose que vous ne portez pas un projet aussi noble et fort par hasard... en quoi votre parcours personnel devait rencontrer ce combat et ce devoir envers le passé ?

Ce n’est pas par hasard si j’ai réagi de la sorte, et si ce livre est arrivé à moi. Le rapport avec mon parcours est personnel. Je l’ai écrit, et le révélerai un jour.

Je pense que nous avons tous un devoir envers le passé, et c’est à chacun de trouver la manière de ne pas rester passif.

3. Votre projet part de la figure d’Hitler, les noms des salauds des dictateurs ont changé, quels sont les ennemis d’aujourd’hui que vous voulez combattre à travers votre action humaniste ?

Aujourd’hui, les tyrans ne s’appellent pas Hitler et les victimes ne sont pas forcément des juifs. J’aimerais que l’histoire ne se répète plus. J’espère de tout cœur que cette étincelle d’allumage ne s’éteindra jamais. J’aimerais qu’à travers l’Art nous nous engagions sans armes et sans larmes.

4. Je suppose qu’en étant le carrefour, l’organisatrice d’une telle action vous avez fait des rencontres humaines très fortes, vécue des histoires rares et précieuses grâce au jeu des rencontres, pouvez-vous nous en parler ?

Chaque page a suscitée des rencontres merveilleuses, riche en émotion et en débat. Nous avons tous un point commun le même message de paix dans le monde et une incompréhension face à la barbarie.

Un rapport amical s’installe tout de suite, comme une solidarité sans frontière, sans barrière de religion, de politique. C’est incroyable, magique.... Il y eu, bien sur, des temps forts. Très fort....... Beaucoup de larmes ont coulées. Je vais vous en raconter deux très intenses.

Une inconnue au téléphone : j’ai entendue parler de votre projet, j’aimerai y apporter mon témoignage. Mais je ne pourrai emporter cette page chez moi, rien qu’à l’idée de la garder j’en tremble. Je vais réaliser mon dessin devant vous.

On se donne rendez-vous dans un café de la place du Trocadéro. Elle arriva, toute menue, de noir vêtu. Elle se présenta, me dit qu’elle est algérienne et qu’elle est historienne en art ancien. Elle me dit qu’elle du quitter son pays natal à cause des événements dramatiques que subissait son peuple. Elle ne pouvait travailler en toute tranquillité. Elle me raconta, qu’une nuit sa mère se trouva face à son meurtrier, un sabre à la main, fut épargné par un miracle : le regard de désespoir qu’elle affichait dans ses yeux.

Elle pense qu’il a eu pitié d’elle, il est parti la laissant tétanisée sur place. Elles quittèrent l’Algérie. Je lui présentai la page, elle sortit de son sac des fusains enveloppés scrupuleusement dans un tissu. Elle me dit : je ne sais pas dessiner, vous pouvez me faire une grande bougie ? Je lui répondis que l’intérêt était qu’elle la fasse pour que l’on ressente son émotion.

Je la pris en photo et elle m’expliqua ce qu’elle faisait. Nous sommes le 5ème jour de hanoukka, j’allume la cinquième bougie avec tous les juifs du monde, je l’inscris sur cette page : bon hanoukka en français et en arabe.

Elle rajouta qu’elle ira ce soir dans une synagogue pour le faire réellement !! J’en ai eu le souffle coupé, une grosse boule à la gorge et les larmes qui coulaient. Tant de tolérance, d’implication, de soutient de respect face à la religion de l’autre. Si nous étions tous comme ça, les guerres n’auraient pas lieu d’être, plus de folie meurtrière, et ça ne tient qu’a ça !

Il y eu, ce jour là, dans un café, une juive et une arabe qui s’enlaçaient et qui pleuraient ensemble.

5. Quelle est la page reçue qui vous a le plus émue ?

Beaucoup de pages qui m’ont émue.

6. Quelle serait la finalité idéale pour votre beau projet ?

J’aimerais que l’on perpétue cette action, en m’aidant à réaliser un livre par pays. Que les livres revisités, fassent le tour du monde. Que nous puissions voir ce que réaliseront les Russes, les Allemands, les Japonais, les Israéliens, les espagnols etc....... et vice et versa. Il y aura ainsi un livre par pays. Il faudrait pour cela qu’une chaîne se forme dans le monde, à l’aide de l’association que je mettrai en place, qui s’appellera : Aile. J’espère que je verrai ce travail aboutir. J’ai lancé le premier livre, à vous de le perpétuer.

8. Après la finitude de toute cette aventure, comptez-vous continuer le combat d’une manière ou d’une autre, créer une association, exhumer d’autres livres ou c’était là un acte unique et symbolique ?

Ce travail n’est pas un acte isolé, je compte poursuivre mon action à travers, ma peinture, la photo, mes écrits, mes sculptures et mon travail de mémoire.

En parallèle, j’ai travaillé la nuit,  J’ai réalisé des poupées en tulles, sans bras, attachées avec de la ficelle, de la corde, du fil de fer...... j’ai rempli plusieurs blocs de dessins, que je reproduirai sur des draps.

Et pourquoi pas intervenir sur d’autres livres, j’ai ma petite idée là dessus.....

9. J’aime beaucoup vos poèmes, quel est celui que vous avez envie de partager avec nous ?

Un poèmes me tient à cœur, il a précédé mon idée.

Des enfants hurlent
Des femmes pleurent
Des âmes aux flammes
Des guerres aux enfers
Des êtres meurtris
A l’aube de leur vie
Des familles massacrées
Par le sacre d’un dictateur
Sans cœur, sans douleur
Dans l’horreur qui perdure
Des atrocités de la torture
Qu’un seul homme met en œuvre
Pour exterminer
Sans trace, les différences
De couleurs, de race,
A jamais envolés
En fumée.
 

10. Je vous laisse le mot de la fin chère Linda !

Je voudrai remercier chaleureusement, mon frère, Yves pour son soutien et son aide précieuse.

Sans lui, le projet n’aurait pas vu le jour si vite. Je voulais le livrer à la fin de ma vie. Distribué de temps à autre une page, au cours de rencontre improbable. Choisir tranquillement les intervenants, car il fallait leur expliquer ma démarche sans les choquer. Donc, inutile d’impliquer mon entourage. Ce serait mon secret.

Je ne voulais pas dépenser mon énergie à justifier ma démarche, et je ne pouvais m’arrêter de peindre. (Rater !) Mon frère découvrit les 30 premières pages dans ma chambre. Il fut troublé, m’aida à choisir les gens dans la rue. Il me présenta David Abiker (journaliste et écrivain) qui m’aida par ses précieux conseils, me conseilla d’ouvrir un blog, et m’invita à parler de mon projet sur France Inter. Tout est parti de là, si vite.....

Je ne les remercierai jamais assez. Sans oublier tous les participants qui furent de merveilleux messagers. Au cours de ce travail, je décidais de me fondre parmi les 600 intervenants.

Je m’appellerai "Aile". Je me suis rendue compte, bien après, qu’Aile est l’inverse de mon nom de famille : Elia. Troublant non !