Réponse à N.

Je ne saurai transcrire exactement la stupéfaction qui m’a saisi lorsque par curiosité, je tape dans google votre nom et prénom et que je constate que vous êtes professeur… Il me revient d’emblée votre phrase « Quant aux enfants de 13/14 ans, que peuvent-ils y comprendre? Il est à craindre que cela les conforte dans une confusion troublante. » A cet instant, je mesure le danger que vous représentez pour l’humanité !

Outre le fait que je ne comprenne pas de quelle « confusion troublante » vous parlez, je ne comprends pas quels cheminements vous ont poussé à penser que l’enfant de 13/14 n’y comprend rien ?! Comment est-ce possible !! Pensez-vous qu’à cet âge là la mort n’a pas de sens ? La mort, la douleur, la différence, la vie, la peur, l’horreur, l’amour ? Ou encore pensez-vous que l’indifférence, l’injustice, la révolte, la soumission, le racisme ne se conscientise pas à cet âge-là ? Pensez vous que ces sentiments là n’ont pas de sens pour un enfant, qu’il ait 14 ans ou pas ? Quel sens a donc votre métier ? Pourquoi avoir choisi de professer si vous pensez que le sens de ce que vous transmettez leur échappe ?! Il me semble que la deuxième guerre mondiale est une période enseignée à cet âge là, non ? Pensez-vous aussi que dans ces pays dont il est toujours question de ces horreurs, on épargne les enfants de 13/14 ans ? Pensez-vous qu’ils n’y comprennent rien ? Pensez-vous comprendre plus justement et plus intelligemment ces choses là qu’un enfant de 13/14 ans ? Quelle légitimité supplémentaire accordez-vous à vos sentiments qu’ils n’auraient pas ?

Vous ne semblez pas comprendre que l’avenir, c’est le présent et que, vivre ne se limite pas à réagir sur des évènements passés. « Mein Kampf n'est pas, nous en sommes d'accord, un livre comme un autre, en ce qu'il appartient au pire passé récent de l'humanité; mais il n'est hélas pas exclu qu'il ait encore un avenir » Mais c’est justement parce que nous craignons qu’il ait un avenir que nous tous participons à ce projet !!! Justement !!! Ce projet ne se limite pas à un simple devoir de mémoire, il est aussi un acte d’existence qui met en exergue l’actualité des sentiments et évènements qui ont conduits dans le passé les hommes à collaborer à ces horreurs. Le devoir de mémoire ne se limite à exhumer quelques vieux fantômes de temps à autres afin de se dire « ceci a été ». L’enjeu du devoir du mémoire se situe aussi dans la prévention qu’il représente, dans l’action d’être qu’il entraîne !!

Comment osez-vous envisager ne serait-ce qu’une seule seconde que le contenu de ce livre et les conséquences qu’il a entraîné soient ignorées ! Comment osez-vous penser que l’horreur puisse être envisagé de manière ludique ! Comment osez-vous penser que la mort de millions de personnes puisse être vécu de manière formelle et ludique !!?? Comment pouvez-vous penser que le fondement même de ce travail soit fondé sur la méconnaissance ?! Ne savez vous donc pas que la connaissance vient du savoir !? Bien sûr, il n’a pas été question pour chacun des intervenants de lire Mein Kampf dans son intégralité. Bien sûr, il était question pour chacun de prendre la responsabilité de sa page et de la recréer à partir de son contenu.

Bien sûr ! Peut-être nous sommes nous risqués à une interprétation trop hâtive de ce livre en considérons que les millions de morts qu’il avait entraîné suffisaient à lui conférer un sens absurde et barbare… Peut-être est-ce de ce sens là dont vous voulez nous éclairer ? Peut-être est-ce ce sens là qui intéresse les gens ?

Comment expliquer que quelques personnes puissent penser que les arabes sont des voleurs et que des milliers de personnes les suivent ? Comment expliquer ça ? Parce que ces mots ont un sens ? Mais quel sens ? L’horreur aurait-il un sens qui lui confèrerait une légitimité ? Peut-être voulez-vous nous éclairer sur le sens de la haine ? De la peur ? De cette « confusion troublante » que vous évoquiez ?
Outre le devoir de mémoire que représente cette œuvre, il est aussi question de l’engagement de tous les participants à un acte humain. Cet acte qui ne concerne pas uniquement cette part terrifiante de l’histoire mais aussi notre présent et donc notre avenir. Présent que vous rappelez en parlant de l’actualité en Turquie, mais aussi présent qui nous concerne tous dans notre quotidien : Pensez-vous que ce pan d’histoire soit si loin de nous pour ne pas vous engager en tant qu’être humain à résister face à la moindre manifestation de violence, de haine, de mépris ou d’indifférence ? Pensez-vous que ce pan de l’histoire soit si loin de nous pour ne pas l’appréhender comme un des multiples « possibles » effrayants à venir ?

De quelle question parle-t-on lorsque vous dites que « la question est trop lourde de sens et trop complexe pour que l’on puisse s’en saisir de manière purement formelle » ? Parle-t-on de la question de la vie et de la mort ? Parle-t-on juste du droit à la vie ? Trouvez-vous que la question du droit à la vie soit complexe ? Qui a le droit de vivre ? La réponse me semble terrifiante de simplicité !! Ce n’est juste qu’une sorte de peur et de lâcheté qui pousse à alourdir cette question. La vie et la mort sont des choses si simples et dont le sens nous touche tous profondément, peut-être plus ou moins, peut-être différemment, mais cette question nous concerne tous et doit tous nous toucher.
En tant qu’être humain, je refuse que ne serait-ce qu’un homme soit abattu pour sa couleur, son origine, ses valeurs, ses croyances, ses pratiques. En tant qu’être humain, je m’accorde ce droit là et en tant qu’être humain, je réponds de mon acte, de mon engagement, de sa légitimité et de sa cohérence ! Et cet acte a comme cohérence qu’il respecte la vie au lieu de la détruire. Ce principe ne suffit-il pas à lui conférer une légitimité ?
Je me demande qui de vous ou de moi élève mein kampf au statut d’objet rare donc précieux en lui attribuant un caractère intouchable que son simple état de livre ne lui offre pas.
Vous préférez faire état du symbole qu’il représente plutôt que de valoriser le symbole de la démarche de Linda Ellia et de tous les participants… « Quelle confusion troublante » !
Si vous considérez que nul n’a le droit ni le devoir de participer à ce projet, ce n’est que par une sorte de « pré-capitulation » humaine. Si vous considérez que seule notre humanité ne suffit pas à justifier notre engagement, juste parce que ce que soulève ce livre est trop lourd de sens, ce n’est que par une sorte de peur qui pousse à la lâcheté et à la part la plus sombre de l’humanité.

Ce qui est sûr, c’est que le sens de cette œuvre dépasse votre entendement, toujours par une sorte de « pré-capitulation » humaine.

Aube.